Subventions : les 7 erreurs à ne pas commettre quand tu demandes des aides financières

Dès qu'un-e artiste me contacte dans l'optique que je monte ses dossiers de subventions, et ce que ce soit pour produire un EP, un album, un clip ou une tournée, je tombe presque systématiquement sur les erreurs suivantes. Ce n'est pas grave en soi car beaucoup d'entre elles sont des écueils que l'on peut facilement corriger ou éviter... mais si ces erreurs sont commises de façon répétées, elles peuvent entraver la crédibilité d'un projet aux yeux des organismes de subvention.

Attention cependant : je tiens à préciser que ce n'est pas parce que tu ne commets aucune de ces erreurs que tu seras d'emblée éligible aux subventions de la musique. Chaque organisme a ses critères propres. Si tu es perdu-e dans tes recherches et que tu n'arrives pas à déterminer les aides qui sont adaptées aux projets artistiques, je t'invite te rendre sur la formation Mission admin & subventions, dédiée aux artistes et labels indés, qui contient une liste de subventions et des alternatives financières aux subventions (qui si tu les sollicites, rassureront toujours les organismes de subventions).

Sinon, rentrons dans le vif du sujet des erreurs à ne pas commettre quand on vise des aides financières !

Erreur 1 : Ne pas adhérer aux organismes disposant d'aides à la création.

Alors, attention : adhérer ne suffit pas pour obtenir des subventions, et d'ailleurs, ces organismes ne sont pas là en premier lieu pour accompagner financièrement des projets. Les organismes de gestion collective (OGC) comme la Sacem, la SCPP, la SPPF, l'Adami ou encore la Spedidam sont avant tout des sociétés civiles qui collectent et répartissent les sommes générées par les exploitations d'oeuvres et d'enregistrements musicaux. Ces organismes permettent aux adhérent-es de déclarer leur catalogue (oeuvres à la Sacem, enregistrements à la SCPP et à la SPPF, déclarations qui viennent ensuite alimenter le catalogue de l'Adami et de la Spedidam) pour ensuite bénéficier des diverses rémunérations qui leur sont dues. Je ne rentre pas dans le détail de la collecte et de la répartition de droits ici car ce n'est pas le propos de l'article, mais je précise ces données pour une chose : générer des droits rassure souvent les organismes financeurs. Pour en savoir plus, je te laisse lire cet article.

Quoi qu'il en soit, adhérer aux organismes est indispensable pour demander une subvention. Tu ne seras pas éligible à l'auto-prod Sacem si tu n'es pas inscrit-e à la Sacem. Il ne va de même pour le CNM : si tu n'as pas effectué les démarches pour adhérer et avoir accès à ton espace pro, tu n'auras pas la possibilité – hors crédits d'impôts – de demander des aides.

Erreur 2 : Payer les artistes et autres parties prenantes à la création d'un disque en liquide.

Si tu penses économiser 20% en ne payant pas les parties prenantes de la création de tes oeuvres (EP, album, clip...) en ne payant pas la TVA, tu te trompes lourdement ! En réalité, tu es perdant-e au change ; toute dépense incluse dans un budget prévisionnel pour obtenir une aide doit être in fine payée soit en salaire (cachets) soit sur facture.

Prenons un exemple très schématique. Admettons que tu as un budget de 1000€. Un ingénieur son te facture 1200€ sur facture pour le mix. Tu essaies de payer en liquide, pensant économiser ainsi 200€. Or, si tu demandais une subvention... tu inclurais ces 1200€ dans ton budget prévisionnel, te permettant d'amortir de 50% tes dépenses de production phonographique. Donc en réalité... tu pourrais obtenir 600€* de subventions sur ces 1200€ TTC.

Aussi, il faut faire très attention : certains postes ne sauraient être rémunérés sur facture. Si tu travailles avec des artistes (chanteureuse, musicien-nes) en France, il est impératif au regard de la loi de les rémunérer en salaire, à savoir sur cachet assorti d'un contrat de travail d'usage (CDDU). Les factures ne sont pas recevables.

Enfin, sache que les professionnel-les du milieu "jouent le jeu" en payant tout le monde dans les règles. Si tu suis ce même processus, non seulement tu auras conscience des lois et usages du milieu, mais surtout, ton budget apparaîtra professionnel aux yeux des organismes.

*ce schéma est très caricatural et ne saurait permettre un calcul exact du montant que tu obtiendrais en subvention. Les méthodes de calcul sont plus compliquées que ça et toutes les dépenses d'un projet ne rentrent pas en ligne de compte pour calculer le cadre subventionnable... sans compter qu'il varie d'un organisme à l'autre !

Erreur 3 : Tout payer avec ses économies.

J'ai pour habitude de dire aux artistes qui me sollicitent pour du conseil administratif ou des dossiers de subventions qu'il ne faut pas engager des dépenses sans regarder à l'avance à quelles subventions on peut potentiellement prétendre. Si ça se trouve, tu as déjà sorti 2 albums, tu es inscrit-e à la Sacem depuis le début... eh bien tu as peut-être loupé le coche de deux aides à l'auto-production.

Il est important pour la santé économique d'un projet de diversifier ses sources de revenus et également ses sources d'amortissements (= subventions, par exemple, mais il n'y a pas que ça). Prends dès que tu peux connaissance des programmes d'aides des organismes auxquels tu es affilié-e, par exemple la Sacem, l'Adami et la Spedidam si tu es artiste, ou bien la Sacem, le CNM et la SCPP si tu es label et maison d'édition à la fois, pour voir si tu n'es pas déjà éligible à des aides. Pour t'aider, je le redis, j'ai une formation avec une liste de subventions intégrée que je mets à jour chaque année pour des artistes et labels indés.

Et si tu n'es pas éligible, ça te donne une idée des choses à faire ou des contrats à obtenir pour pouvoir y prétendre. Sans le savoir, tu auras fait un pas de plus vers la professionnalisation de ton projet.

Erreur 4 : Présenter un budget largement supérieur à ce que l'on peut dépenser.

Tu l'entendras partout : il est impératif de présenter un budget réaliste. J'irai, à titre personnel, jusqu'à dire de présenter un budget "idéal avec subventions". Restons dans l'exemple phonographique pour l'instant : le budget que tu présentes doit faire état des dépenses minimum que tu comptes engager pour produire ton disque – cachets des artistes, location d'un studio, prestations de mix et de mastering par exemple – mais aussi des dépenses que tu souhaiterais engager si tu étais subventionné-e. Par exemple, l'embauche d'un-e attaché-e de presse pour promouvoir le disque auprès des médias, ou bien du merchandising pour accompagner une release party d'une source de revenus supplémentaires.

Si ton budget est largement supérieur à ce que tu peux dépenser par toi-même, la commission le verra rien qu'à la lecture de ton budget. Il est par exemple irréaliste de dépenser 80.000€ pour un deuxième EP. Aussi, le budget que tu présentes, tu devras l'honorer. Tu ne peux pas dire que tu dépenseras 35.000€ si en réalité tu n'en dépenseras que 10.000€.

Ce qui me permet également de préciser que tu ne pourras pas financer 100% de ton projet avec des subventions. Certaines subventions bloquent le montant total des subventions à 50% du montant total du budget prévisionnel, par exemple.

Erreur 5 : Ne sortir que des singles.

Que tu souhaites égrener les titres de ton prochain EP "single par single" est en soi une des nombreuses stratégies de sorties appliquées par les labels – on appelle ça une stratégie "waterfall", ou en cascade. Par contre, ne sortir que des singles, ou rassembler une collection de singles en un EP ou un album ne te rend pas éligible à des aides financières.

Il y a ce qu'on appelle un impératif d'inédit dans les programmes d'aides. Les organismes ne veulent justement pas financer une collection de singles. Souvent, il faut qu'au moins 50% des titres de l'EP ou de l'album ne soient pas sortis au moment du passage en commission. Dans certains cas, il faut même déposer un dossier avant d'avoir fini d'enregistrer l'EP ou l'album ! La seule exception à cette règle est l'auto-prod Sacem, qui se demande quand le projet est déjà sorti (à condition que le projet fasse plus de 5 titres et qu'il ne s'agisse que du premier, deuxième ou troisième disque auto-produit de l'artiste. Si tu veux les conditions complètes je te renvoie vers le site de la Sacem).

Tu te demandes peut-être si cet impératif de sortir un EP ou un album vaut aussi pour une tournée ou un clip ? La réponse est oui : le clip doit s'inscrire dans une sortie discographique, et la tournée doit elle aussi permettre la promotion d'un disque.

Erreur 6 : Se payer sur facture… voire ne pas se payer du tout.

Je l'ai déjà dit dans d'autres articles, et je le dis systématiquement quand j'ai des artistes en consulting administratif : en France, il y a une "présomption de salariat" pour tout artiste interprète, qu'iel soit chanteur-euse ou musicien-nes (cela vaut aussi pour les personnes à l'image dans un clip ou pour le plateau artistique d'une date de concert). Si on sort du jargon de l'industrie, cela veut dire que toute personne qui participe à la création musicale d'un disque doit être rémunérée en cachet, et il existe des minima à respecter. L'artiste interprète est payé-e à la minute (minimum 570,91€ brut + 31,40€ la minute au delà de la 20ème minute de musique enregistrée) et les artistes accompagnant-es ont un montant minimum journalier (176,97€ brut par jour en 2024).

Il n'est donc pas légal de se rémunérer sur facture en tant qu'artiste, ni de rémunérer qui que ce soit sur facture lorsqu'il s'agit d'artistes. La seule exception : si tu travailles avec un-e artiste basée à l'étranger et de nationalité autre que française, par exemple un-e artiste américain-e qui enregistre en studio aux Etats-Unis. Les prestations techniques peuvent quant à elle être rémunérées sur facture si l'ingénieur-euse son par qui tu passes a une auto-entreprise ou une structure pour facturer ses prestations. Sinon, la personne demandera un cachet.

Et, bien sûr, ne pas se payer en tant qu'artiste principal-e mais payer tout le reste de l'équipe ne rend pas le projet éligible aux subventions également !

Encore une fois, la seule exception réside en l'auto-production de la Sacem, qui peut être attribuée à des personnes physiques (donc non employeuses).

Erreur 7 : Attendre d'avoir des subventions pour sortir sa musique.

Il est extrêmement rare de voir subventionner un premier disque lorsqu'on est autoproduit-e. Quelques aides régionales le permettent peut-être, l'auto-prod Sacem aussi mais rétroactivement car elle se demande dans les 6 mois après la sortie d'un disque, mais autrement, toutes les subventions se demandent pour a minima une deuxième sortie. Pour adhérer aux organismes, il faut avoir sorti des titres. Parfois un seul (Sacem, Adami), parfois 4 (éditeur Sacem), parfois 5 (SCPP, SPPF).

Aussi : les subventions ne financent pas un projet. Elles amortissent des dépenses. Et rentrer dans tous les critères ne signifie pas une attribution automatique de l'aide, sauf dans de rares cas. La plupart des aides sont dites sélectives, c'est-à-dire soumises à appréciation d'un jury de commission. Et tous les dossiers ne peuvent pas être acceptés, car les budgets ne sont pas illimités.

Pour jauger de l'acceptabilité d'un dossier, même si rien ne peut jamais le garantir, j'invite toujours les artistes à regarder les résultats de commission, qui sont rendus publics. Le montant octroyé est public aussi, quand les aides sont à montant variable (exemple : les aides de la SCPP et de la SPPF, du CNM...).

Enfin, les subventions sont octroyées à des projets qui ont pour volonté de s'inscrire durablement dans une industrie. Il faut donc travailler tous les aspects d'un projet (qui là aussi sont variables d'un-e artiste à l'autre, tous les artistes ne sont pas amené-es à faire de la scène, par exemple) et inclure dans son développement artistique les demandes de subvention. Pas faire en fonction d'elles (:

Conclusion

Je sais, à la lecture de cet article, tu dois te dire "mon dieu, mais Cloé, c'est impossible de demander des subventions en fait !". Rassure-toi, ce n'est pas le cas. Si je rédige cet article, c'est pour montrer qu'il n'y a jamais des milliers d'euros à la clé quand tu produis un disque ou une tournée. Ces subventions existent pour pérenniser un projet musical dans le temps, permettre l'embauche d'artistes et ainsi permettre l'accès au régime de l'intermittence, mais aussi pour donner un coup d'accélérateur à des projets qui ont le vent en poupe et pour qui la filière aurait des attentes. Je pense par exemple à ces artistes qui ont un premier disque qui leur a permis de décrocher une quinzaine de dates et dont l'entourage artistique est naissant, ou encore aux artistes qui reviennent sur le devant de la scène après une grande pause et dont les fans montrent un intérêt grandissant pour les voir sur scène, par exemple. Je pourrais en cite plein d'autres !

Pour te permettre d'y voir plus clair sur la manière de constituer un dossier, j'ai un article tout prêt pour toi. Et si tu ressens le besoin d'être accompagné-e dans tes dossiers, n'hésite pas à me contacter.

Nota bene : tout vient à point à qui sait attendre, dans la musique.

Cette industrie, c'est un marathon. Tiens le coup, les efforts finissent toujours par payer !

Je vais prendre l'exemple d'une artiste avec qui je travaille, qui s'appelle La Clara Sofia. On travaille ensemble depuis août 2023, on planchait alors sur la sortie de son premier EP. Il était déjà autofinancé lorsque j'ai commencé à travailler avec elle, par contre, j'avais déjà en tête quelques aides pour la suite pour son prochain disque.

On a sorti ce premier EP en novembre 2023. Avant cette sortie, on a répondu à un appel à projets de la Ville de Paris en septembre 2023 (le dispositif l'Île des Chances), qui permet de doubler la mise d'une campagne de crowdfunding si celle-ci atteint les 5000€. Le projet a été sélectionné : s'ensuit donc une campagne de crowdfunding, entre mi mai et mi juin pour récolter ces 5000€. Ils sont atteints avant la fin de la campagne ; le jour des fameux "100%", on obtient également l'auto-production Sacem au titre du premier EP.

Il aura fallu près d'un an d'efforts et de travail conjoint pour obtenir près de 15.000€ d'aides pour le prochain disque : 5000€ de sa communauté, 5000€ d'aide régionale et 5000€ de subvention de la Sacem. Tout vient à point à qui sait attendre, et oui, le crowdfunding est toujours de mise, même en 2024 !

Si tu souhaites creuser le sujet du financement et notamment du crowdfunding, j'ai enregistré en 2022 un podcast avec Jean-Charles Dufeu de Microcultures, que je t'invite vivement à écouter.

Les 7 choses à ne pas faire :

- Ne pas adhérer aux organismes

- Payer les artistes en liquide

- Tout payer avec ses économies

- Présenter un budget largement supérieur à ce que l'on peut dépenser

- Ne sortir que des singles

- Se payer sur facture… voire ne pas se payer du tout

- Attendre d'avoir des subventions pour sortir sa musique

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